Au colloque de printemps de l’AVICCA, les 23 & 24 mai 2017

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Le TRIP de printemps 2017 de l’AVICCA (Association des Villes et Collectivités pour les Communications électroniques et l’Audiovisuel) que je préside, se déroule les 23 et 24 mai 2017 à PARIS, avec deux axes majeurs en parallèle : l’aménagement numérique (sur les deux jours) et le numérique éducatif (le 24 mai).

Sur l’aménagement numérique :

  • Contexte : un nouveau gouvernement, un secteur des réseaux d’initiative publique en pleine expansion avec 31 départements en appel d’offres pour une couverture FttH, un nouveau cycle de régulation de l’ARCEP, de nouvelles procédures pour traiter les zones blanches et visualiser les qualités de couverture mobile, des réseaux en développement pour l’internet des objets…
  • Questionnements : va-t-on vers une réduction des ambitions comme y invite le rapport de la Cour des Comptes, ou vers une extension pour viser le Gigabit en 2025 ? Quelles règles du jeu revoir ou perfectionner ? Jusqu’où les collectivités doivent s’impliquer pour la couverture mobile ? La 5G sera-t-elle réservée pendant longtemps aux zones denses ? Comment s’appuyer sur les réseaux FttH pour généraliser la fibre pour les professionnels ? Les collectivités doivent-elles déployer leurs réseaux pour les territoires intelligents ou agir en synergie avec d’autres acteurs ?

Sur le numérique éducatif :

  • Contexte : connecter des milliers d’établissements au réseau très haut débit, les desservir en Wi-Fi, prendre en charge la maintenance informatique des réseaux, des terminaux, assurer la sécurité des réseaux, équiper individuellement ou collectivement avec des budgets tendus.
  • Questionnements : quelles priorités et quelles méthodes pour les collectivités pour contribuer à la réussite éducative et assurer l’égalité d’accès et d’équipement des élèves ?

 


 

Retrouvez le verbatim complet de mon intervention en ouverture du colloque :

« Monsieur le Président de l’ARCEP, cher Sébastien Soriano

Mesdames, Messieurs,

Vous tous, qui contribuez à ce magnifique chantier de modernisation de notre pays,

je pense que l’on peut s’en féliciter, la campagne des présidentielles n’a pas vu s’affronter des visions divergentes sur l’importance du numérique – à part quelques questions de piratage – ni sur la meilleure stratégie pour que la France tienne son rang sur la question. Mais le clivage électoral a encore montré l’exigence d’égalité d’accès aux services essentiels de la part des citoyens de nos territoires ruraux, de montagne et péri-urbains. La connectivité fixe et mobile à Très haut débit en est l’une des conditions, nous en sommes tous ici convaincus.

Une séquence politique va s’ouvrir avec une nouvelle présidence et une nouvelle législature. Nous sommes également à mi-distance du Plan France Très haut débit, et au moment où il faut préparer le renouvellement des licences mobile, dans la perspective d’une amélioration nécessaire de la couverture et de l’arrivée de la 5G.

C’est donc pour nous l’occasion d’exprimer des attentes fortes, à la fois vis-à-vis du gouvernement, mais aussi du régulateur, dont l’action n’est pas subordonnée à celle du politique, mais qui s’y articule dans une vision d’ensemble nécessairement cohérente.

Sur le passage au Très haut débit fixe, l’AVICCA se situe clairement dans l’objectif extrêmement ambitieux de la « société du Gigabit » qui fixe à 2025 une généralisation du FttH en Europe. Ce sera le sujet de notre première table ronde, et j’en profite pour saluer le représentant de la DG Connect qui y interviendra. Cet objectif est à notre portée, il faut se donner les moyens d’y parvenir. Ces moyens ne sont pas tous là aujourd’hui, ceux qui déploient en zone rurale le savent.

Un objectif en 2025 suppose tout d’abord de tenir les objectifs intermédiaires du Plan, dont la prochaine est la couverture réelle des zones d’initiative privée en 2020. Ce sont les prises les moins chères, les plus faciles à construire. Nous sommes de plus en plus inquiets en voyant que la moitié des conventions de déploiement ne sont pas signées. En voyant surtout que la moitié des prises dites « couvertes » ou « programmées » ne sont pas raccordables, c’est-à-dire que de fait elles sont gelées, sans opérateur, et sans services, car celui qui a commencé le déploiement a écrémé la partie la plus rentable derrière un point de mutualisation. Nous entendons de plus en plus parler de 2022 pour la zone AMII. Non, ce n’est pas ce que les opérateurs ont prétendu en 2011, et je rappelle que l’État s’est porté garant de la crédibilité des intentions d’investissements. Or, fin 2016, moins de 20% de la zone AMII était raccordable, et dans les 80%, il y a des zones à mauvais débit, des entreprises qui attendent. Aujourd’hui les opérateurs refusent de nous dire combien de prises raccordables ils vont construire en 2018, 2019 et 2020 sur les 3 400 communes concernées. Alors quand j’entends parler ici ou là d’extension de la zone AMII, je dis non, ne déterrez pas la hache de guerre, il ne faut pas brouiller les cartes, ce serait un risque pour les territoires concernés et un péril pour le Plan tout entier. La semaine dernière, le représentant d’un opérateur déclarait à l’AFP, à propos de son concurrent : « Il faut d’abord finir ce qu’on doit faire avant de réclamer plus ». Cette maxime est frappée au coin du bon sens, et elle s’applique à tous.

Toujours pour tenir le Plan, sur les RIP nous nous heurtons à d’énormes difficultés d’accès au génie civil. L’ARCEP a proposé des remèdes pour le prochain cycle de régulation. C’est très bien, merci de nous avoir entendu, mais cela ne va pas assez vite. Les mois et les années passent, je ne cache pas qu’un certain nombre de collectivités se demandent si les obstacles ne servent pas à gagner encore un peu de temps pour protéger la rente du cuivre, et s’il ne faut pas agir sur ce plan là également.

Autre point structurant, l’arrivée de tous les opérateurs sur les RIP. L’indicateur de l’ARCEP sur le taux de mutualisation montre que, depuis un an, nous avons globalement régressé, et que nous sommes dans un écart de plus de un à trois par rapport à la zone privée. Tout ceci sera détaillé tout à l’heure. L’ARCEP ne peut pas imposer à un opérateur de venir, mais il a des pouvoirs, comme celui d’utiliser la tarification du cuivre, en général, et dans les futures « zones fibrées » en particulier.

 Je tiens à rappeler qu’Emmanuel Macron, ici-même il y a un an, exprimait sa volonté que les opérateurs privés tiennent leurs engagements de déploiement et viennent tous sur les RIP.

Voilà pour le respect des fondamentaux du Plan. A chacun son terrain de jeu pour construire et exploiter les réseaux, sans débordements sauf s’il y a constat d’insuffisance, et avec les moyens d’y jouer une partie honnête.

Pour tenir cet objectif de 100% en 2025, ou « 99% et quelques » pour être raisonnable, des financements complémentaires seront indispensables pour la zone RIP. C’est une exigence d’égalité. Avec le résultat de toutes les procédures en cours et l’expérience acquise, le chiffrage doit pouvoir être effectué précisément en 2018, loin des polémiques. Ensuite, le budget de l’État pourra-t-il absorber cette demande, faut-il des mesures spécifiques comme une taxation du cuivre ? Ce sera à la nouvelle majorité de décider. Et puisque le représentant de la DG Connect est là, j’en profite également pour dire qu’en face de l’ambition de la société du Gigabit, le prolongement de fonds FEDER après 2020 sera indispensable. De nombreuses collectivités sont également en attente d’une décision rapide de l’ARCEP pour lancer des réseaux LTE fixe en attente du FttH.

Sur la couverture mobile, maintenant, nous nous sommes réjouis que le précédent gouvernement ait enfin pris conscience de la gravité de la situation. Des mesures d’urgence ont été prises, sur les centres-bourgs, les sites prioritaires, les cartes de qualité de couverture. Mais il faut maintenant une vision stratégique, des objectifs et des délais précis, un véritable Plan France Mobile. C’est un débat qui doit être lancé et tranché au plus tard mi-2018. Voici nos positions, en résumé :

1) la définition de ce qu’est une zone dite « couverte » doit être radicalement changée. L’AVICCA propose que la référence soit celle que l’ARCEP a défini comme une « bonne couverture » pour les nouvelles cartes, comme celle publiée sur la Nouvelle Aquitaine, celle qui permet une réception indoor dans la plupart des cas pour simplifier. Une mauvaise couverture n’est pas de la couverture. Cela suppose de doubler le nombre de sites en milieu rural. Et ce chantier doit commencer vite et ne pas durer plus de cinq ans.

2) la 5G sera porteuse de nouveaux services. Il ne doit pas y avoir un délai de plus de 5 ans entre l’introduction d’une nouvelle technologie et sa généralisation sur le territoire. Cinq ans, c’est la durée d’amortissement des matériels actifs.

3) le rôle des collectivités n’est pas de suppléer les opérateurs. Nous assumons notre part sur le fixe, donc nous pouvons par exemple apporter la fibre sur les nouveaux sites, dans des conditions économiques satisfaisantes. Il faut que chaque opérateur assume sa qualité de couverture et de service, avec un minimum fixé par les licences. Libres à eux de mutualiser à deux, trois ou quatre pour diminuer les coûts et aller plus vite, avec la bénédiction de l’ARCEP. Nous demandons au passage de résorber le passé, c’est-à-dire qu’ils prennent en charge les milliers de sites que les opérateurs occupent pour un euro symbolique au détriment des collectivités rurales. Le mobile est globalement rentable.

4) le levier pour tout cela, ce sont les renouvellements de licences, ou éventuellement leur prolongation. Et comme on ne peut pas tout demander aux opérateurs, il faut que l’État attende moins des revenus immédiats d’une vente de licence, et plus des retombées globales, économiques et sociétales, d’une connectivité partout sur le territoire. Nous avons su montrer le chemin de ce changement de posture à l’occasion de la loi Montagne, en acceptant, avec le soutien des principales associations de collectivités, de suspendre l’IFER pour accélérer les déploiements.

J’ai aussi envie de croire aux bonnes intentions des opérateurs pour apporter une meilleure qualité de service à leurs clients qui vivent ou viennent dans les zones rurales et de montagne, et de leur dire : proposez-nous des solutions, et si elles participent à la dynamique, nous les appuierons.

Voilà notre vision, et nous allons nous employer à la faire partager. Le régulateur a bien évidemment aussi sa vision, et nous serons très attentifs, Monsieur le Président, à vos propos dans un instant.

Je sais que le collège et les services de l’ARCEP sont de plus en plus attentifs aux questions d’aménagement du territoire, sous votre impulsion. Les pouvoirs du régulateur sont  forts, et ont le mérite de la durée. Dans le passé nous avons réussi à nous faire entendre sur des points importants, ainsi quand nous avons fait modifier le projet de décision de tarification du génie civil, pour qu’il soit plus favorable aux zones les moins denses. Cette orientation vient d’être réaffirmée sous votre présidence et je m’en réjouis. Les chantiers sont nombreux. L’application des règles de complétude doit éviter ces prises « gelées » que j’ai citées, cela concerne aujourd’hui plus de 5 millions de locaux, le problème est massif. Les questions de mutualisation des process deviennent cruciales, ainsi que l’a relevé l’Autorité de la concurrence dans son avis du 5 mai dernier ; cela pose des questions de gouvernance, mais aussi d’outils adaptés à la multiplicité des acteurs. J’ai évoqué tout à l’heure le tarif du cuivre, un levier très fort pour la transition vers la fibre, j’y ajoute votre pouvoir sur la grille tarifaire des RIP, qui doit être utilisé pour créer la dynamique concurrentielle – nous sommes en forte attente à ce sujet. Les collectivités ont une obligation de résultat sur la bonne construction des réseaux, l’ARCEP a une obligation de résultat sur leur bonne économie.

Je n’oublie pas, bien sûr, le nouveau gouvernement avec qui nous avons pris contact pour aborder tous ces sujets.

En résumé, sur tous ces sujets, nous devons continuer à affirmer de fortes ambitions, et à nous donner vite les moyens de les atteindre. Quant à la mise en œuvre, tous ici, à quelque place que ce soit, nous nous employons à sa pleine réussite.

Pour conclure, je voudrais évoquer la disparition de Corinne Erhel, députée des Côtes-d’Armor, parlementaire investie dans ces dossiers de l’accès à internet et des usages du numérique. Elle avait fait de cette cause un combat transpartisan. C’est assurément une grande perte pour notre pays et pour notre famille des télécoms et du numérique. Nous lui rendrons hommage en poursuivant plus intensément encore nos travaux, ici dans ces deux jours, et dans les assemblées parlementaires.

Ce colloque, auquel je vous remercie d’être toujours plus nombreux à participer, traitera tout d’abord du Très haut débit fixe, puis nous enchaînerons sur la couverture mobile cet après-midi, en présence de Pierre Louette, que je salue et félicite pour sa très récente élection comme Président de la FFT. Demain nous aborderons le marché professionnel, capital pour la transition numérique, ainsi que les territoires intelligents. Une journée sera organisée en parallèle sur le numérique éducatif, lourde responsabilité partagée entre l’État et des collectivités. Ceci pour rappeler que l’objectif de tout ce que certains appellent parfois les tuyaux, ce sont bien sûr les services qu’ils permettent d’offrir. »

Paris, le 23 mai 2017,

Patrick CHAIZE
Président de l’AVICCA